18 octobre 2009

«Je n'ai rien à vous dire»

« De Picabia, j’avais connu d’abord, séparée de lui, la première femme : Gabrielle Buffet. Elle me parlait de son mari (inoubliable), de leurs amis (entre autres de Marcel Duchamp). Excellente musicienne, elle ne voulait rien ignorer de nos tentatives. Francis le séducteur, revenu d'Amérique en France, allait habiter à la Muette, bou­levard Émile-Augier, chez Germaine Everling, compagne entre toutes riante et séduisante. Nous nous rencontrâmes à cette époque et il décida de recevoir, chaque dimanche, quelques familiers auxquels j'eus rapidement

Georges Auric par Valentine Hugo. Dessin au crayon, 1921.© collection H. Sauget.
l'heureux privilège d'être associé, déjeuners, longs après-midi où j'appris à aimer un hôte d'une drôlerie parfois insur­passable. Après avoir refusé d'aller au café Certa, je me rendis donc boulevard Émile-Augier. Alerté au bon moment, j'y trouvai Tzara, invité par Picabia à venir y séjourner dès son arrivée à Paris. Immédiatement, les deux hommes me parurent curieu­sement contraster par le caractère, la personnalité. Face à Picabia, à sa verve, à sa spontanéité, Tzara ressemblait soudain à un provincial quelque peu effarouché par le milieu parisien. Silencieux, effacé, presque terne, le messie de « Dada » tentait assez médiocrement de se libérer, articulant de temps en temps deux ou trois phrases qui n'étaient explosives que pour lui.»

Georges Auric, Quand j’étais là, Grasset, 1979, pp. 113-114.