22 juillet 2005

Il suffirait de presque rien

Georges Ribemont Dessaignes et Man Ray
Près de quatre décennies après « l’âge d’or de Dada » (l’expression relève-t-elle d’un certain sens de l’histoire ou d’une convention facile à adopter ?), Georges Ribemont-Dessaignes, rédigeant Déjà jadis 1 demeurait un brin nostalgique. Déjà jadis, ou Dada blues. Le temps passe vite, et le jadis a tôt fait de se substituer au naguère. Que reste-t-il, de ces amitiés, de ces figures du passé, de ces conflits, de ces réconciliations ? Des archives conséquentes, répertoriées dans des banques de données, aux traces parfois infimes, l’histoire n’aura pas toujours traité ses figures avec les mêmes égards. Faire parler les morts, écrivait Michelet. Réveiller les fantômes, écrivait G.R.D. Que L’Œil Cacodylate ne nous donne pas le sentiment d’une « belle époque dada » : début 1922, les cartes sont en partie distribuées, Picabia s’est déjà séparé du mouvement et, bientôt, André Breton 2 (grand absent de L’Œil) s’occupera de la banque. Comment voir, aujourd’hui, L’Œil Cacodylate ? Comme un cahier de texte signé en fin d’année scolaire par les copains ou comme un registre de condoléances ? J’ai lu quelque part une touchante comparaison avec le plâtre d’un membre cassé sur lequel les amis viennent signer. L’image est belle, on songe à la fracture qui sera bientôt réduite ! Mais G.R.D. se ressaisit, il sait qu’il suffirait de presque rien pour que l’histoire, subitement, se fasse intempestive. " Oui, Dada pourrait reparaître. Mais nous, que pourrions-nous faire ? Nous aurions beau mettre des sels sous le nez de ces fantômes, ils resteraient des fantômes. Pour arriver à un résultat, il faudrait oublier tout le passé. Inventer un mouvement qui ferait exploser à sa manière l'époque actuelle. Et nous, nous serions tout de même influencés par des fantômes. Nous aurions beau, au lieu de leur faire respirer des sels, leur offrir du gardénal ou un de nos fameux tranquilli­seurs pour qu'ils demeurent sages dans leur coin, il suffirait d'un de leurs clins d'œil pour nous troubler. " 1 Paris, René Julliard, "Les Lettres Nouvelles", 1958. Republié en 1973 en 10/18.
2 « Je ne crois pas au prochain établissement d’un poncif surréaliste », écrivait Breton en 1924 dans son Manifeste. Mais le poncif est là, le surréalisme s’est, d’une certaine façon, fait rattraper. Combien de temps faudra-t-il attendre avant qu’un journaliste commente un quelconque fait divers en concluant : « C’est complètement dada » ?