19 juin 2005

A maman et à papa, tendrement, Pierre de Massot, 1926 [3]

Pierre de Massot à Pontcharra (1928)

Comme le fit Jacques Rigaut, de Massot s’adonne, en ces années trente, à diverses drogues (héroïne, morphine, cocaïne, opium, éther, haschich) ainsi qu’à l’alcool, en dépit d’une santé déjà fragile. Quelques tentatives de désintoxication ne viendront pas à bout de ce tempérament excessif et foncièrement désespéré. De Massot consignera son quotidien tourmenté dans les pages de son « Cahier noir », un journal qui reste inédit à ce jour. Malgré le soutien de sa compagne Robbie (de son vrai nom Eliga Helen Stewart Robertson, une jeune femme écossaise que lui présenta Man Ray en 1922), de Massot ne rencontre que peu de répit dans son existence contrainte par une situation financière qui désormais ne s’améliorera plus. Le couple entreprendra quelques voyages au terme desquels il se séparera. Ils auront un fils, Pierre-François, né en avril 1932. Robbie (qui dut ce surnom à Marcel Duchamp) quittera de Massot quelques mois pour vivre une aventure avec une amie commune. Malgré cette relation difficile, parfois déchirante, de Massot et Robbie se marient en juillet 1928, année où paraît Soliloque de Nausicaa, illustré de cinq dessins de Jean Cocteau qui, quelques années auparavant, lui fit part de son soutien : « J’affirme n’avoir jamais vu en toi un petit provincial que tout écorche mais un cœur adorable que tous essayent de durcir. Ce n’est pas pareil. » Le couple restera lié, sans toutefois mener une vie commune, jusqu’à la mort de Robbie survenue à la fin du mois d’août 1951.

Les années trente marquent la prise de distance du poète avec les mouvements littéraires et en particulier avec le surréalisme. Resté proche d’André Breton, le « déserteur » de Massot passe par une période d’introspection qui verra naître deux textes autobiographiques : Billy, bull-dog et philosophe, ou Prolégomènes à une éthique sans métaphysique, paraît en 1930, et Mon corps, ce doux démon, « écrit en 1932 à bord de L’Horizon », le yacht de Francis Picabia ancré dans le port d’Antibes si l’on s’en tient à la précision de l’achever d’imprimer de l’ouvrage qui ne sera publié qu’en 1959 et dans lequel il relate sa bisexualité : « La plupart des mes amies sont, pour employer la terminologie de Marcel Proust, gommorhéennes (...) Je recherche (...) toujours l’amitié des invertis des deux sexes, quelle que soit la classe sociale à laquelle ils appartiennent, pour ce qu’ils bénéficient d’une intelligence et d’une sensibilité extrêmement aiguës, et que la liberté pour eux n’est pas un vain mot. Aussi quelle joie lorsque Robbie, notre intimité tout à fait établie, m’avoua des goûts des préférences identiques aux miennes, et aux miens, et fortement, son propre sexe. Cette dernière déclaration m’enchantait : on admettra que dès lors je misse tout en œuvre pour la concrétiser. » Ces deux derniers textes mis à part (les plus longs de l’ensemble de son œuvre), l’activité littéraire de Pierre de Massot se ralentit notablement. Son étude sur le music-hall, Jolies poupées, semble marquer une pause dans sa production littéraire en cette année 1931, où il écrit « Le déserteur », un poème qui paraîtra dans le n° 3 de la revue Orbes (première série, printemps 1932) dirigée par Jacques-Henry Lévesque et Olivier de Carné. La seconde série d’Orbes accueille ses notes de lecture, parmi lesquels figure sa recension (Orbes n° 2, été 1933) de L’Opposition et les cases conjuguées sont réconciliées, un traité d’échecs que Marcel Duchamp et Vitaly Halberstadt ont publié sen 1932. Cet article lui donne l’occasion de signaler la prochaine parution de la Boîte verte de Duchamp : « J’attends avec impatience le nouveau livre que prépare Marcel Duchamp [...] qui n’a pas fini de nous étonner et d’exciter notre émerveillement et notre admiration ». Le n° 4 et dernier de cette seconde série d’Orbes (été 1935) réunira une fois encore les noms de Duchamp (qui illustre la quatrième de couverture avec Témoins oculistes, un dessin réalisé sur papier carbone en 1920) et de Massot, qui publie sa note de lecture consacrée à la Boîte verte : « Je considère [...] que l’importance de ce livre est [...] analogue à celle des « Illuminations » et des « Champs de Maldoror ». Je prévois déjà ses scoliastes futurs, d’innombrables exégètes à venir et les thèses qu’il suscitera. Je suis certain d’être bon prophète. Je n’en veux aujourd’hui pour garantie que les rires à contre-sens et l’incompréhension totale du plus grand nombre ». Par ailleurs, ses activités politiques deviennent plus soutenues et sa collaboration sous forme d’articles ne se limite plus aux seules colonnes de L’Humanité. Des organes proches du P.C.F. accueillent ses prises de position que la guerre, pendant laquelle il rejoint les rangs des F.T.P., n’aura fait qu’exacerber plus encore. Dès lors, de Massot sera de tous les combats et signera un bon nombre de manifestes antifascistes à partir de 1946. Contre le régime de Tsaldaris en Grèce, contre la guerre du Vietnam en 1949, contre la signature du Pacte des Cinq en 1951. Il militera également pour la libération du poète turc Nazim Hikmet en 1950, pour celle d’Henri Martin en 1953 et de Messali Hadj en 1954. Seuls les évènements de Hongrie, après lesquels il démissionnera aussitôt du P.C.F. en 1956, mettront un frein à son militantisme. L’après-guerre, durant laquelle, de 1947 à 1958, il travaille en qualité de rédacteur pour Paramount Pictures, n’aura laissé que peu de place à la poésie et à la littérature. En 1945, paraissent 5 poëmes, un recueil tiré à trente exemplaires, dédié à Marcel Duchamp et comportant un portrait de l’auteur par Francis Picabia ; en 1949, une autre plaquette hors commerce, Orestie ; en 1954, Mot clé des Mensonges ; en 1955, Galets abandonnés sur la plage, dédié à Georges Auric et comportant une eau-forte de Jacques Villon. Les Nouvelles littéraires continuent de publier ses articles mais sa situation matérielle demeure des plus précaires. Jean Cocteau, André Gide, Jacques Maritain et Marcel Duchamp lui viennent en aide. En 1961, année où de Massot passe plusieurs mois au sanatorium d’Assy en raison de sa santé de plus en plus mauvaise, une vente de solidarité est organisée en sa faveur, et en celle de Georges Bataille, à l’Hôtel Drouot. A cette occasion, Zadkine, Duchamp, Arp et Villon font don de quelques unes de leurs œuvres. La participation financière de ses amis lui permettra la même année de publier Le Mystère des Maux, un recueil regroupant la majeure partie de ses poèmes. L’épigraphe de Francis Scott Fitzgerald, issue d’une des plus terribles nouvelles de l’écrivain américain (La Fêlure, 1945), que Pierre de Massot inscrit en exergue d’un de ses derniers textes (Marcel Duchamp, Propos et souvenirs, 1965) ne laisse aucun doute quant à la clairvoyance du poète au regard de son état de santé : « Toute vie est l’histoire d’un processus de destruction. » A seule fin d’augmenter ses droits d’auteur, le galeriste et éditeur Arturo Schwarz prévit pour l’édition de ce portrait-souvenir aux accents souvent nostalgiques, un tirage de tête agrémenté d’un ready-made de Marcel Duchamp (L.H.O.O.Q.) . Deux autres figures majeures des années dada, du temps de 391, du Bœuf sur le toit et des premières amitiés, seront les sujets des deux derniers livres de Pierre de Massot : Francis Picabia, une monographie publiée en 1966, et André Breton ou Le Septembriseur, publié en 1967. Cependant, l’état de Pierre de Massot ne fait que s’aggraver. Peu après la mort d’André Breton, il doit affronter une sévère dépression qui l’oblige à une hospitalisation de plusieurs mois. Dès lors, de Massot ne quitte plus Paris, où, rue Dauphine, il partage une chambre meublée dans un hôtel des plus modestes avec sa dernière compagne, Micheline Kunosi. C’est dans le plus complet dénuement que Pierre de Massot déserte définitivement la vie le 3 janvier 1969. BIBLIOGRAPHIE - De Mallarmé à 391, Au Bel Exemplaire, Saint-Raphaël, s.d. [1922]. - Essai de Critique Théâtrale, Paris, hors commerce, s.d. [1922]. - The Wonderful Book. Reflections on Rrose Sélavy, Paris, hors commerce, s.d. [1924]. - Parisys ou Sans dessous de Soie, Paris, hors commerce, 1925. - Saint-Just ou Le divin bourreau, Paris, hors commerce, 1925. - Etienne Marcel prévôt des marchands, Paris, hors commerce, 1927. - Soliloque de Nausicaa, Paris, hors commerce, 1928. - Prison de soie, Paris, les éditions de Paris, Coll. Les Images de Paris, n°1, 1930. - Prolégomènes à une éthique sans Métaphysique ou Billy, bull-dog et philosophe, Paris, éditions de la Montagne, 1930. - Fleurs des champs, Paris, les éditions de Paris, Coll. Les Images de Paris, 1930. - Jolies poupées, étude sur le music-hall, Paris, les éditions de Paris, Coll. Les Images de Paris, 1931. - Mots clé des mensonges, Paris, hors commerce, 1954. - Galets abandonnés sur la plage, Alès, PAB, 1958. - Tiré à quatre épingles, Alès, PAB, 1959. - Mon corps, ce doux démon, s.l.n.d. [Alès, PAB, 1959]. - Oui, lettres d’Erik Satie adressées à Pierre de Massot, Alès, PAB, 1960. - Le mystère des maux, Paris, hors commerce, 1961. - Marcel Duchamp, Propos et souvenirs, Milan, chez Arturo Schwarz, 1965. - Francis Picabia, Paris, Seghers, Coll. Poètes d’aujourd’hui, 1966. - André Breton ou Le Septembriseur, Paris, Eric Losfeld, Le Terrain Vague, 1967. - Le déserteur, Œuvre poétique 1923-1969, poèmes rassemblés et présentés par Gérard Pfister, Paris, Arfuyen, 1992. - Etude sur Pierre de Massot (1900-1969), thèse de doctorat inédite soutenue par Gérard Pfister à l’Université de Paris IV-Sorbone, 1975. - Dossier Pierre de Massot (articles et documents inédits, correspondance, bibliographie) in Etant donné Marcel Duchamp, n° 2, A.E.M.D. et éd. Liard, Baby, 2000, pp. 52-176.